Et si l’Angleterre se retirait de l’Union Européenne ?

gagnant gagnant

« En défendant la Nature, l’homme défend l’homme » disait Jean Rostand. Il en va de même pour les organisations, dont l’existence est étroitement liée à l’environnement économique au sein duquel elles évoluent.

Diriger une organisation, c’est interagir avec son marché pour développer sa compétitivité. Cela implique d’abord de connaître les règles qui président au fonctionnement de ce marché, d’en gérer les contradictions et d’en appréhender les subtilités. Mais défendre ses intérêts, c’est aussi préserver l’équilibre de l’environnement économique existant pour optimiser les opportunités et le profit de chacun des acteurs. En effet, l’économie tend de plus en plus à se décliner sur le mode du réseau, et face à un concurrent important, les entreprises de petite taille ont tout intérêt à se regrouper pour prospérer.

Ce qui s’applique à des environnements de petite dimension vaut tout aussi bien au niveau mondial, tant il est vrai que « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut« .

L’actualité nous en donne encore un exemple, avec ce concours lancé par l’Institute of Economic Affairs (IEA), un Think-Tank britannique. Le concours, appelé Brexit Prize, un mot-valise formé à partir de « break » (rompre) et « exit » (sortir), offre un prix allant de €100,000 à €5,000 aux trois meilleurs propositions qui permettront au Royaume-Uni de développer une économie prospère, une fois que la population britannique se sera prononcé par voie référendaire en faveur d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Au passage, il convient de noter que les auteurs du concours, tout en envisageant une sortie du Royaume-Uni, ne peuvent s’empêcher de formuler le montant de la récompense en Euros, une monnaie que le Royaume-Uni a toujours refusé d’adopter. Un paradoxe qui ne laisse pas de surprendre, compte tenu du cours de la livre en ce début août 2013

Sur le plan politique, l’idée de la sortie britannique n’est pas nouvelle. Le Premier Ministre conservateur David Cameron a repris à son compte le contenu du fameux discours de Bruges tenu par Margaret Thatcher en 1984 : nous voulons bien d’une Europe ouverte aux échanges, mais nous ne voulons pas de direction politique de l’Europe, ni en économie ni en d’autres domaines. Du côté du Parlement anglais, le vote d’un tel projet serait très vraisemblablement voué à l’échec en raison de l’opposition des travaillistes et des libéraux-démocrates, membres de la coalition gouvernementale et europhiles déclarés.

Les milieux financiers, de leur côté, n’hésitent pas à faire savoir que, d’ici quelques années, Francfort pourrait supplanter Londres comme première place financière européenne. Dès lors, un retrait de l’Angleterre de l’Union Européenne accélérerait le départ de nombreux investisseurs. A moins que les anglais anticipent cette évolution en faisant de leur île un véritable paradis…fiscal. Du point de vue commerciale, L’UE représente 53% des exportations et 3 millions d’emplois. Une sortie de la Grande Bretagne serait une tragédie économique pour le pays notamment en matière d’échanges commerciaux avec le continent, estiment les europhiles. Les conservateurs britanniques souhaitent privilégier une relation avec les USA, mais Washington préfère que les Britanniques s’impliquent plus dans l’UE. Delhi et Pékin aussi, d’ailleurs. En son temps, le général De Gaulle avait qualifié l’Angleterre de « cheval de Troie des Etats-Unis« . Une sortie de l’Union Européenne serait donc, pour la France, l’occasion de se débarasser d’un partenaire au double jeu fort paralysant.

Outre Manche, les Anglais ont toujours été sceptiques vis-à-vis de l’Europe. Winston Churchill avait prophétiquement affirmé : « Each time we must choose between Europe and the open sea, we shall always choose the open sea » (chaque fois que nous devrons choisir entre l’Europe et la haute mer, nous choisirons toujours la haute mer). Aujourd’hui, près de 60% des Anglais seraient favorables à une sortie de l’Union Européenne. Les anti européens ne veulent pas du fédéralisme, de la réglementation et de la contribution au budget européen. Ceux ci considèrent toujours l’Angleterre comme une véritable puissance mondiale, extérieure à l’Europe, s’appuyant notamment sur son ancien empire colonial, devenu le commonwealth. Dès lors, en se retirant des institutions de l’Union européenne, le Royaume-Uni offrirait à l’Europe l’occasion d’enclencher un véritable mouvement de fédéralisation.

Tous ne pensent pas, cependant, que le départ de l’Angleterre serait une libération pour l’Union Européenne. Quelques voix se manifestent pour souligner le pragmatisme anglais face à l’idéalisme européen.

Quelle que soit la décision prise par les britanniques, l’Europe peut agir sur la situation de deux manières :

1. Par la « guerre de l’information » : l’Europe met alors en place une démarche d’influence afin de peser sur l’opinion anglaise, dans le sens du maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne ou de sa sortie de l’Union. Cette démarche présente l’avantage d’anticiper la suite des événements au lieu d’attendre passivement qu’ils surviennent.

La guerre de l’information contient toutefois en elle même ses limites. Elle va notamment à l’encontre de l’éthique telle que l’a prôné Emmanuel Kant, qui énonçait : “Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien en toi qu’en autrui, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen.”. Or, inciter une opinion à prendre une décision plutôt qu’une autre correspond à l’utiliser comme un moyen, et non comme une fin. Dans une matière comme l’Intelligence Economique, régulièrement assimilée à une activité au mieux immorale, au pire illégale, le respect de l’éthique ne peut que valoriser l’image de marque de la matière, et son intégration dans les pratiques managériales.

2.Par la théorie des jeux : il s’agit d’une branche des mathématiques qui modélise, à partir de situations données, l’élaboration de stratégies rationnelles, donc l’anticipation du comportement des acteurs d’un environnement. Elle permet, en effet, à plusieurs acteurs rationnels qui poursuivent des objectifs indépendants d’interagir au mieux de leurs intérêts tout en prenant en considération non seulement leur environnement, mais la stratégie de leurs concurrents. Voilà qui correspond en tout point aux situations auxquelles les professionnels de l’Intelligence Economique se trouvent confrontés.

Le Geneva Business News a inventorié les bénéfices et les pertes respectives subies par l’Angleterre et l’Union Européenne en cas de séparation. La situation à laquelle se trouveront confrontés britanniques et européens s’apparentera donc à la situation modélisée que les praticiens de la théorie des jeux appellent « le problème du partage équitable« . Cette situation porte sur le partage des ressources, mais aussi sur celui des contraintes. Pour qu’un tel partage ne génère pas de rancœur, la clé est que chacun perçoive la différence entre ce que l’accord lui apporte et ce qu’il lui coûte comme étant supérieur ou égal à ce que supporte les autres co-contractants (n).

Bénéfice perçue par l’un des co-contractants (Bc1) moins Concession consentie par l’un des co-contractants pour accéder à cette valeur (Cc1) supérieur ou égal à Bcn-Ccn.

Ce qui donne la formule suivante :

(Bc1-Cc1)>(Bcn-Ccn) V (Bc1-Cc1)=(Bcn-Ccn)

Il restera ainsi aux équipes en charge de la veille de chacune des parties à la négociation à profiter du temps nécessaire à l’organisation du referendum pour identifier les bénéfices issus de la situation (maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne ou séparation) ainsi que les concessions qu’il est prêt à consentir pour accéder à ces bénéfices.

Pour ceux qui souhaitent aller plus avant dans la problématique, voici quelques articles (en anglais) qui traite la dimension mathématique du partage équitable :

http://www.cs.princeton.edu/~dp6/gta/lecture11.pdf

http://www.ams.org/notices/200611/fea-brams.pdf

http://theconversation.com/cutting-cake-and-eating-it-too-the-sticky-maths-of-fair-division-3040

http://www.cs.ucy.ac.cy/~nicolasn/epl432/Readings/cake-cutting.pdf

Une hypothèse reste cependant à creuser : et si l’Angleterre adoptait avec l’Union Européenne la tactique de la « poule mouillée«  ?

Notre site Internet : http://mastere-risque-territoire.eisti.fr/?q=node/4

2 réponses à “Et si l’Angleterre se retirait de l’Union Européenne ?

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